The Mysterious Island L'Île mystérieuse

  1. Un mot sur les adaptations
  2. Résumé
  3. Critique
    1. Le savoir
    2. La religion
    3. L'esclavage
    4. Le(s) sauveur(s)
    5. Éléments de désaccord
  4. Conclusion

Je ne suis pas fan de romans, mais j'ai lu les plus célèbres traitant de la robinsonnade, et L'île mystérieuse est, de loin, mon préféré et, autant le dire tout de suite : aucune de ses adaptations plus ou moins usurpées n'est digne d'intérêt. C'est aussi mon roman préféré de toute l'oeuvre de Jules Verne.

Un mot sur les adaptations

Principalement parce que le roman originel est rationnel et scientifique, bien qu'ayant été publié en 1875 - la science de l'époque baignait encore dans la chrétienté. Les adaptations se sont toutes arrêtées sur le terme "mystérieuse" et ont fait des adjonctions malheureuses, telles que des crabes ou des abeilles géantes, ou ont introduit des personnages féminins qui, souvent, ne servent que d'argument de vente, se limitant au rôle de la demoiselle en détresse, parfois franchement godiche. Je préfère de loin la version 100% masculine de Verne qui, à défaut d'être inclusive (encore une fois, on est en 1875), n'est pas réductrice.

Ces critiques ne concernent peut-être pas le cas de la mini-série de l'ORTF en 1963 mais je n'y ai jamais eu accès, donc peut-être qu'elle viendrait sauver la longue liste des adaptations foireuses du roman.

Résumé

Toujours est-il que l'histoire originale débute sur la fuite du siège de la ville de Richmond, durant la guerre de Sécession, par un groupe composé d'un marin et de son fils d'adoption (Pencroff et Harbert), d'un journaliste (Gédéon Spilett), et d'un ingénieur (Cyrus Smith) et d'un esclave qu'il a affranchi (Nab) mais qui lui est resté fidèle. Ils parviennent à prendre possession d'un ballon mais, faisant face à une tempête, ils finissent par s'échouer sur une île au beau milieu du Pacifique.

Les compétences de chaque personnage sont pleinement exploitées sous la direction du scientifique, ce qui leur permet de tirer profit de leur environnement, et passer de la survie au confort.

Spoiler

Ils sont aidés par une "force mystérieuse", sur laquelle le voile est progressivement levé au fil de l'histoire, et qui s'avère être nulle autre que le capitaine Nemo.

Critique

Non seulement le roman est rationnel (modulo la foi chrétienne, même de Cyrus Smith, cependant exprimée avec parcimonie), mais en plus, il est réaliste, si tant est qu'il puisse exister une île aussi accueillante pour des naufragés (une réflexion que ne manquera pas de faire Pencroff).

Le savoir

Ce que j'aime dans le genre de la robinsonnade, c'est le savoir de la survie. Comment les personnages utilisent leurs compétences dans le but de s'adapter à une situation nouvelle et, en apparence, désespérée. Car, habituellement, la source du désespoir est l'ignorance, et axiomatiquement, la connaissance est salvatrice. Là aussi, c'est Pencroff qui l'exprime le mieux, à travers sa foi visiblement inaltérable en l'ingénieur, à partir du moment où celui-ci procure le feu aux survivants.

Et c'est toute l'essence de L'île mystérieuse. Un tiers du roman est consacré à diverses explications sur la façon de se procurer du feu, du savon, et même de la nitroglycérine. Le second tiers sera consacré aux moyens de confort, tels que l'agriculture, la domestication des bêtes, et même l'électricité. On comprendra donc mon intérêt particulier pour des jeux comme ARK: Survival Evolved, où l'on débarque quelque part sans rien, et où l'on doit tirer profit de son environnement pour survivre, puis vivre.

L'intérêt tout particulier offert par L'île mystérieuse réside précisément dans les explications fournies par Verne. J'ignore totalement si je serais en mesure de fabriquer un four en briques dans une situation de survie comme il le décrit dans le roman, mais je suis très friand de ce genre de détails parce qu'ils attestent du réalisme voulu par Verne. Il ne s'agit pas simplement de dire "Il a construit un four en briques", et ainsi, les survivants se voient dotés miraculeusement d'une technologie salvatrice. Chaque industrie conçue par l'ingénieur est le fruit d'un savoir et coûteusement mise en oeuvre, et il est offert l'opportunité au lecteur de prendre conscience de cette difficulté, et surtout de la délivrance qu'elle procure. En vérité, à aucun moment on ne se demande par quel prodige ils parviennent à faire ci ou ça : le prodige en question est la science, la patience, les essais et les erreurs, et une habileté acquise progressivement.

La religion

Depuis Robinson Crusoé, l'oeuvre fondatrice du genre, la plupart des romans sont empreints de religion, et L'île mystérieuse n'y échappe pas. Cependant, l'oeuvre de Verne ne tombe pas dans les travers habituellement lus jusque là. Quand, dans Robinson Crusoé ou Le Robinson suisse, c'est manifestement la foi chrétienne qui fournit la salvation (ou en tout cas, l'espoir), dans L'île mystérieuse, c'est incontestablement la science qui prévient le désespoir.

En 1875, lorsque paraît le roman, la science est encore gouvernée par des dogmes théologiques : Dieu reste le créateur de toute chose, l'humain reste le maître absolu du monde et de ses ressources puisqu'elles lui sont offertes par Dieu lui-même. Et ces dogmes sont bien présents ici, quoique discrets : occasionnellement, les survivants remercient "la providence", mais ils ont bien conscience que c'est la science de l'ingénieur qui leur sert, plus que la foi. Peut-être qu'à cette époque cela représente un tournant social ; après tout, Darwin vient juste de publier L'Origine des espèces

L'esclavage

Verne se devait, manifestement, de parler de l'esclavage dans son livre. Déjà parce que l'histoire prend place en pleine guerre de Sécession, donc, contextuellement, c'est une bonne façon de traiter la question. Ensuite parce qu'on (les humains en général) aime bien l'idée des esclaves affranchis qui restent avec leur ancien maître, par amour, par fidélité, parce qu'ils étaient bien traités. De nombreuses oeuvres de toutes époques exploitent ce thème, dès l'Antiquité, et il n'est pas surprenant de le retrouver chez Jules Verne, modernisé, actualisé pour l'occasion.

Au-delà de la dévotion de Nab pour Cyrus, le thème de l'esclavage est aussi un prétexte de Verne pour exprimer son soutien à la cause abolitionniste, en particulier dans le contexte de la guerre américaine. On observera toutefois que le rôle de Nab est secondaire, et que le reste de l'oeuvre de Verne n'est pas égalitaire, ce qui n'ôte rien à l'intérêt culturel que représente ce personnage, remis dans le contexte politique et social de l'époque.

Le(s) sauveur(s)

Autre élément récurrent dans l'oeuvre de Verne : le thème du sauveur, du bienfaiteur. De l'Homme, dont l'histoire le fait misanthrope, mais qui garde foi en une fraction du reste de l'humanité, ici incarné par le capitaine Nemo. Ce thème m'est particulièrement évocateur. Il me parle. J'aime bien l'idée d'un personnage, humain, non divin, venant au secours de ceux qui en ont besoin et qui sont méritants, mais qui reste dans l'ombre jusqu'au dernier moment.

On peut y voir une vertu très chrétienne, évidemment, mais on peut aussi y voir une vertu simplement humaine, la religion n'étant pas forcément à l'origine de bonnes actions. Ici, ce n'est - heureusement - pas le cas : les interventions salvatrices du capitaine sont enracinées dans une histoire fascinante et détaillée en fin de livre, motivées par la débrouillardise des survivants, leur amour pour leur pays, leur volonté de vivre.

Ces thèmes sont probablement éculés aujourd'hui, mais ils confèrent à l'oeuvre des pistes de réflexion intéressantes, en particulier selon deux points de vue : celui d'aujourd'hui, et celui de la fin du 19è siècle. Ils offrent des prétextes pour s'intéresser à des éléments culturels qu'on ignorerait en ne lisant pas le roman, et c'est précisément ce que j'aime dans toute oeuvre narrative.

Éléments de désaccord

Ce qu'il y a de bien avec ce genre de récits, et particulièrement considérant - encore et toujours - le contexte dans lequel il a été écrit, c'est que l'on peut l'apprécier sans pour autant accorder du crédit à tout ce qui y est dit.

Par exemple, je suis en profond désaccord avec la nature sauvage d'Ayrton au moment où les colons le retrouvent. Je trouve que ce personnage, au moment de sa découverte, souffre d'une abominable exagération de sa description par Jules Verne, tant par la comparaison malheureuse avec un animal (qui sous-tend la fameuse séparation nette entre humain et animal voulue par la religion) que par le degré d'avilissement qui me paraît extrême (qui lui, sous-tend une séparation nette entre un humain "sauvage" et un humain "civilisé", voulue cette fois par la société dans son ensemble).

Ce n'est pas pour autant que je rejette le roman, au contraire : je trouve que de cet exemple en particulier peut naître des conversations intéressantes, tant du point de vue biologique que psychologique.

Autre exemple, non moins évocateur : bien qu'il se soit trompé dans ses estimations, Jules Verne anticipait alors (en 1875 donc) qu'à la fin des années 1900, on disposerait d'une énergie illimitée tirée de l'hydrogène de l'eau. En réalité, comme on le sait, l'énergie basée sur l'hydrogène dont on dispose n'est ni offerte, ni illimitée, mais il est toujours extrêmement fascinant de constater la clairvoyance de certains auteurs sur des faits aussi précis et sur des échelles de temps qui dépassent leur propre vie. Cela suscite forcément l'admiration.

Conclusion

Je relis souvent L'île mystérieuse. C'est mon roman fétiche. Outre tout ce que je viens d'aborder, je note également qu'il est facile à lire. Les chapitres sont assez courts pour être lus rapidement mais régulièrement, les paragraphes sont courts, les fins de chapitres se terminent souvent sur des cliffhangers haletants. Rien, à mon sens, ne peut être reproché à l'écriture, tantôt palpitante, tantôt réflective, contemplative, instructive, intéressante.

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