Retour d'expérience : Deux mois sur instagram

  1. Derrière les lignes ennemies
  2. Premier contact
  3. Filtrage des contenus
  4. Filtrage des followers
  5. Entretien de la communauté
  6. Critique du contenu
  7. Progression de l'usage
  8. Algorithme, algorithme...
  9. Conclusion

Voilà deux mois que je suis sur Instagram. Oui, c'est peu, évidemment, mais je pense que c'est assez pour faire un petit retour d'expérience du point de vue de simple consommateur de contenu. Je ne produis pas encore de contenu, et peut-être que je ne le ferai jamais, mais si je le fais, je partagerai aussi mon expérience avec vous.

Derrière les lignes ennemies

Rappelons qu'historiquement, je suis un fervent détracteur des réseaux sociaux, tout ce qui vient de facebook en tête. Donc, de mon point de vue, créer un compte sur instagram a demandé un effort psychologique certain. Je n'irai pas jusqu'à comparer l'expérience à vouloir visiter la Corée du Nord quand on vient de Corée du Sud, mais quand même. Évidemment, je limite les risques en créant un alias email pour la plateforme.

À la création du compte, j'indique être un homme de 40 ans.

Je m'interroge encore sur la raison pour laquelle je l'ai fait, alors que je sais que je dois donner le moins d'informations possibles. Par réflexe ? Simplement parce qu'il y un formulaire et que le contrat social veut que je le remplisse ? Je n'en sais rien, mais instagram a fait tomber mes barrières beaucoup trop facilement. Je n'ai d'autre choix que d'espérer que les conséquences ne seront pas trop embêtantes.

Premier contact

Sans suivre aucun compte et sans aucun follower, je pars du principe qu'insta utilise justement ces deux informations (genre et tranche d'âge) pour proposer un contenu supposé m'intéresser.

Du football, et des femmes dénudées. Ça commence bien, mais heureusement, il existe plusieurs moyens de remédier à cela.

Le plus simple est le plus évident : il faut sans tarder suivre des comptes qui m'intéressent. Je ne vais pas en faire la liste ici, mais en gros, des personnalités ou organisations scientifiques, et des fans de Jurassic Park.

Filtrage des contenus

On peut encore éviter quelques publications inappropriées en allant dans les paramètres du compte et en ajoutant les hashtags qu'on veut masquer. Ça fonctionne très bien, tout simplement parce que le hashtag a une valeur promotionnelle : les créateurs de contenu sont "obligés" de mettre des hashtags spécifiques à leurs publications s'ils veulent qu'on les voit, et par conséquent, c'est facile d'identifier ce qu'on ne veut pas voir. Ce n'est pas comme sur un blog où les mots-clés ont une valeur sémantique afin d'identifier rapidement de quoi parle le contenu. Sur instagram, les hashtags ne servent pas à ça et sont même plus ou moins cachés en fonction de la façon dont les publications ont été faites. Bref, c'est un monde à part, mais au moins, on peut filtrer facilement.

Enfin, autre levier à activer pour limiter les contenus inappropriés : signaler directement à instagram qu'une publication donnée ne m'intéresse pas. On peut faire ça sur tous les contenus, y compris les publicités, et on se rend compte assez rapidement que le flux contient de moins en moins de bruit et de plus en plus de choses intéressantes, y compris là encore les publicités. Ça m'étonne, mais j'ai fini par tolérer certaines publicités, dans la mesure où elles deviennent de mieux en mieux ciblées avec le temps et les habitudes de consommation des contenus sur la plateforme. J'ai fini par voir des publicités sur des produits scientifiques (ou pas) intéressants.

Filtrage des followers

Il y a un phénomène auquel je m'attendais qui s'est produit assez rapidement, et contre lequel on a aussi des possibilités d'action : occasionnellement, un compte commence à me suivre, généralement avec un pseudo plus ou moins aléatoire, et une photo de profil neutre.

Cool ! Un nouveau follower ! Je vais le suivre en retour, ça me semble être la chose à faire !

Partant de là, le follower peut initier une conversation. Et jusqu'à présent, ce n'était que du spam. En fait, soit le profil est explicite (du contenu à caractère sexuel est visible dans les publications), soit il ne l'est pas mais le devient dans les messages privés.

Il y a manifestement un caractère inéluctable à se retrouver confronté à du contenu sexuel non sollicité sur instagram.

Ou peut-être qu'une généralisation est possible :

Il est inéluctable de se retrouver confronté à du contenu sexuel sur internet.

Bref. Il est possible de bloquer un follower, sans qu'il soit au courant de surcroît, donc le filtrage se fait rapidement et facilement. Mais j'ai peut-être deux nouveaux followers par semaine, au grand maximum, dont un seul est légitime, donc ce filtrage est totalement gérable. C'est une nuisance, mais pas de quoi avoir la tête sous l'eau. Mais je pense que passé un certain cap, ça devient un métier à temps plein de filtrer ces comptes, à moins qu'au contraire, on ne fasse plus du tout de filtrage. Ce qui soulève la question de la pertinence du nombre de followers.

Entretien de la communauté

J'en reviens à la question de communiquer avec moi exclusivement par email plutôt que par système de commentaire : je préfère avoir une communauté réduite mais de qualité, plutôt qu'avoir une communauté plus nombreuse mais toxique.

Je suis contrarié par le fait d'avoir des followers dont le profil est privé ou qui ne publient aucun contenu et qui ne se manifestent jamais à moi. Ce sont des bombes à retardement : impossible de savoir si ces sont des followers légitimes ou non. Et ça m'embête que dans ma liste de followers, je puisse avoir des gens (ou des bots) pas recommandables, parce que j'ai l'impression d'y jouer ma réputation.

On peut imaginer que si je suis suivi par une majorité de bots ou de comptes louches, mon compte est une poubelle, voire un vecteur de propagation actif pour ces comptes. Donc, je pense qu'il est de mon devoir de nettoyer mes followers, parfois au risque d'en éliminer des légitimes.

Critique du contenu

Après environ un mois à affiner les mots-clés bloqués, à filtrer les publicités inappropriées (voire illégales), à suivre des comptes intéressants et à nettoyer ses propres followers, on fini par arriver à une certaine stabilité dans la qualité du contenu proposé. En tout cas, je ne vois presque plus de contenu qui ne m'intéresse pas, mais ça demande un peu de travail.

Je crois que ce qui me gène le plus dans ce qui reste, c'est la constatation de la réduction du "temps de cerveau disponible" qui se traduit par du contenu qui se consomme le plus vite possible. C'est certainement évident pour beaucoup de gens, mais n'oubliez pas que je sors de ma caverne en allant sur instagram : j'ai été, jusque là, assez "protégé" de ce genre de phénomènes. J'en avais connaissance, mais je n'en avais encore que rarement fait l'expérience, et quand c'était le cas, c'était de façon sporadique.

Ici, tous les contenus sont fait pour être consommés le plus rapidement possible. On passe son temps à faire défiler du contenu et on reste rarement plus de quelques secondes sur une même publication. Il faut dire que les commentaires sont souvent inintéressants, se résumant la plupart du temps à donner son point de vue, à dire que c'est de la merde, ou à acquiescer, quasiment systématiquement à grand renfort de multiples emojis.

Ce qui m'intéresse le plus dans les commentaires, et là j'assume une certaine facette voyeuriste, c'est de lire des gens dont je connais l'existence uniquement à travers des statistiques. Les platistes, les extrémistes religieux, les détracteurs de la science, les climato-négationnistes, etc. Pour la première fois de ma vie, je lis leur discours en direct, dans les commentaires, et je trouve ça à la fois fascinant et terrifiant.

Pour en revenir aux contenus en eux-mêmes, je disais qu'ils étaient fait pour être consommés le plus rapidement possibles. Il est évident qu'on ne va pas s'attarder pendant des heures sur une seule photo, mais les vidéos sont montées à la machette. Les paroles s'enchaînent à un rythme parfois difficilement supportable, voire franchement inintelligible. Rares sont les comptes à échapper aux règles marketing qui disent qu'un contenu doit marquer les visiteurs le plus rapidement possible.

Plus inquiétant, j'ai constaté une certaine prolifération de contenus manifestement truqués. Là encore, ça n'est pas surprenant en soi : même sans jamais avoir mis les pieds sur les réseaux sociaux, tout le monde sait que ce qui y est diffusé est potentiellement faux. Ça peut rester anodin (comme des chats qui s'échangent une balle), du contenu "viral" sur un phénomène étrange (les piles sur des cuillers qui font tourner une pièce de monnaie 🙄), mais aussi, plus grave, du deep-fake dont j'ai déjà parlé.

Je me focalise ici sur ces contenus négatifs, mais il y a aussi beaucoup de contenus "positifs", au premier plan desquels se trouvent d'authentiques passionnés qui partagent leurs centres d'intérêt ou leurs talents, sans forcément qu'il y ait une motivation commerciale. Certains ne sont motivés que par le partage et la communauté, d'autres évidemment utilisent la plateforme pour donner de la visibilité à leur petite entreprise. Ces comptes-là publient du contenu "authentique", pas formaté pour le marketing moderne.

Progression de l'usage

Le premier mois était frénétique : découverte de la plateforme et de nouvelles personnes, de passionnés encore plus fous que moi. Je follow plein de monde, je passe mon temps à scroller, à liker. Je me connecte plusieurs fois par jour, parfois pendant une à deux heures. Comme d'habitude, quand je découvre un truc, j'y vais à fond.

Au-delà du premier mois, mon usage est plus mesuré. En terme de fréquence de consultation, les flux RSS reprennent le dessus dans ma vie. Je consulte insta comme je consulte mes mails, deux à trois fois par jour, dans un créneau de quelques minutes.

Il y a un point qui suscitait mon inquiétude quant aux réseaux sociaux en général, c'est l'enfermement dans une bulle cognitive. Or, instagram propose du contenu à découvrir qui sort un peu du contenu habituellement consommé. Étonnamment, ça fonctionne assez bien pour élargir sa bulle sans complètement être à côté de la plaque.

Je dis parfois, avec malice, que "j'ai fait le tour d'instagram", parce que j'ai le sentiment de revoir les mêmes trucs en boucle. C'est là, je crois, que l'on peut voir que l'on a atteint la membrane de la bulle cognitive, et qu'il est temps de l'élargir. D'où l'intérêt des "reels" et de la section "Découvrir".

Algorithme, algorithme...

Le problème avec "ces algorithmes", c'est qu'on ne peut pas reproduire une expérience. C'est parce que j'ai parcouru instagram de la façon dont je l'ai fait que j'y trouve des choses intéressantes, et que ces publications sont intéressantes pour moi. Toute l'expérience de navigation se fait au fur et à mesure, en fonction de chaque seconde passée devant un contenu.

Il y a quelque chose de désarçonnant dans la façon dont l'informatique évolue. Je faisais la remarque récemment dans mon article concernant ChatGPT : on construit des outils, et on y trouvera de la merde si les gens y mettent de la merde. Les "plateformes" ne fournissent que ça, un outil, pour se dédouaner de ce qu'on y trouve. La démission face à la responsabilité. Il y a quelques garde-fous, mais rien de bien sévère.

Il n'y a que la façon dont on s'en sert qui dicte ce que l'on y verra, et j'ai encore un peu de mal avec ce fonctionnement, en particulier parce qu'il devient impossible d'être partial - de dire "c'est bien" ou "c'est pas bien".

Conclusion

J'ai survécu 😅 Mais au moins, je sais ce que c'est d'être des deux côtés du rideau. Je n'irai pas jusqu'à recommander aux gens d'aller sur instagram, mais disons qu'on peut en tirer quelque chose.

Alors finalement, qu'est-ce qui cloche avec instagram ?

  • On y trouve des contenus intéressants
  • On y trouve des gens intéressants
  • On peut filtrer ce qui nous intéresse ou pas, y compris les publicités
  • instagram ne devient pas propriétaire des contenus publiés1 (c'était un point d'achoppement lorsque facebook a commencé à devenir populaire)

Oui mais :

  • il est bien trop facile d'être soumis à du contenu non-sollicité, en particulier à caractère sexuel
  • il y a un peu trop de dark-patterns utilisés un peu partout (en particulier les publicités, parfois difficiles à distinguer de véritables contenus)
  • la violence des commentaires... c'est affolant
  • les fakes : faux produits, fausse science, contenu scripté soi-disant authentique ; encore une fois, rien de nouveau, mais on est vraiment sur une toute autre échelle ici et aujourd'hui

Au final, j'ai intégré instagram dans mes "à côtés" quotidiens. Ce n'est ni un outil professionnel, ni une source d'information. Pour moi, c'est un mélange, un équilibre, entre la drôlerie et la culture. C'est devenu un casse-croûte pour l'esprit, tantôt dérisoire, tantôt enrichissant, jamais envahissant.

Mais ce n'est pas parce que moi je sais me modérer que c'est le cas de tout le monde. Je comprends qu'il soit facile de s'y perdre, d'y être accroc, au point parfois de déséquilibrer le quotidien. Et ce n'est pas parce que moi je fais attention que c'est le cas de tout le monde, et il ne faut pas compter sur la plateforme pour obtenir une protection pro-active : je ne sais pas à quoi serait exposé un enfant de 13 ans2 tout juste arrivé sur la plateforme s'il ne renseigne pas son âge (ou qu'il ment à son sujet).


  1. Voir https://help.instagram.com/1511799112989015?helpref=faq_content. Attention cependant : il est indiqué dans l'en-tête que ces conditions s'appliquent aux utilisateurs professionnels. Si c'est le cas, qu'en est-il des publications de non-professionnels ? 

  2. Âge minimum requis pour utiliser instagram. Je me doute que certains parents ne sont pas regardants, voire que la pression sociale est susceptible d'inciter les plus jeunes à y aller.